Poésie

[keru]

Donnez moi la racine drue sucée à l'insu du limon hurlant,
Donnez moi un visage terreux travaillé de terreurs et d'insomnies,
Je vous conduirai savamment sur un planisphère de volcans moisis.

Sur un pays attelé au timon de la tristesse, qui lèche avec gratitude la face idéale de l'oppresseur,
Je vous conduirai vers les lieux de morgue et de sacrifice,
Ou la mémoire déboutonne ses viscères et ses charniers.

[keru]

Le vent ne souffre pas de cette terre étroite foisonnant d'indicible.
Le vent lappe les villages en cendres qui gargouillent d'agonies muettes,
Les villages qui grelottent dans la grosse poche de sang du soleil d'hiver.

Je ne cirerai pas mes souliers sur le pas de ma porte,
Je ne passerai pas mes habits du dimanche,
mais je vous parlerai de guider les torrents compacts de la danse,
je vous parlerai d'une ivresse grandissante sous la mamelle des feuillées,
je vous parlerai de femmes pareilles à la cadence des moissons.

[keru]

Je vous conduirai vers la désolation juteuse des vieilles terres,
Je vous conduirai dans le silence électrique d'un peuple trahi,
Je vous conduirai au secret des mouettes mères assemblées sur la pacotille des plages fondantes.

[keru]

<< L'exil est rond
Un cercle, un anneau :
Tes pieds en font le tour,
Tu traverses la terre,
Et ce n'est pas ta terre
Le jour s'éveille et
Ce n'est pas le tien,
La nuit arrive :
Il manque tes étoiles
Tu te trouves des frères,
Mais ce n'est pas ton sang.>>

PABLO NERUDA.

[keru]

Chemins rouille proliférant de racines,
Corbeaux turbulents aux allures de souche,
Ivresse de bois frais, d'aurore en lambeaux,
Arbres jaunes passés au rasoir du soleil levant,
Gésine sans hate de la limaille de l'aube,
Patience paisible du village éparpillé.
Necessaire dépouillement des hommes et des choses
Pour affronter l'odeur de bois mort de la souffrance.

[keru]

Je vous prédis les cours d'eau pétillants qui attaquent les limons chauds, les marais striés d'herbe haute,
les translations obliques de la pluie qui se fraie une voie vers les tissus poreux de l'esprit,
les grands labours blancs sur la mémoire des iles,
l'embrasement des lointains à l'approche de moissons indiscutables.

[keru]

Je vous promets les hommes aux torses de sueur granuleuse derrière les troupeaux de vaches caressantes,
les hommes qui s'arretent en chemin, explorent les digitales, corolle et pistil, tige et racine,
et qui se taisent au pollen des forets noyées de mouettes.

[keru]

Les murs ruinés barrent les champs de lande,
l'alouette pétrifiée ouvre dans sa chute un épi de mort.
J'accepte ce pays parfumé de ronces,
ou ricochent des vents de lumière jusqu'aux falaises de la nuit forées d'oiseaux rèches.

[keru]

Petit poème du premier mai.

Cloches naives du muguet,
Carillonnez ! car voici Mai !

Sous une averse de lumière,
Les arbres chantent au verger,
Et les graines du potager
Sortent en riant de la terre.

Carillonnez ! car voici Mai !
Cloches naives du muguet !

Les yeux brillants, l'ame légère,
Les fillettes s'en vont au bois
Rejoindre les fées qui, déja,
Dansent en rond sur la bruyère.

Carillonnez ! car voici Mai !
Cloches naives du muguet !

Maurice Careme. (écrivain et poete belge)

[keru]

Si tu reviens danser chez Temporel
Un jour ou l'autre
Pense à ceux qui tous ont laissé leurs noms gravés
Auprès du notre.

D'une rencontre au bord de l'eau
Ne restent que quatre initiales
Et deux coeurs taillés au couteau
Dans le bois des tables bancales.

Etc etc......................

Patachou (10/06/1918----30/04/2015) à qui Jacques Brel et Georges Brassens doivent beaucoup.

[keru]

Je revendique ce pays
Humide et brillant comme l'ardoise
Je revendique le silence et la mutilation,
La cécité, le délire et la désolation.

[keru]

A un endroit de fleurs et de limon ou l'eau salée heurte l'eau douce et s'annihile,
près des ilots ou les lapins broutent la toison du soleil et l'herbe rougie de rosée,
à un endroit de chardons et de coquelicots,
j'organise le mystère des hommes.

[keru]

Un soir, quand il est près d'enjamber la fenetre,
Le prisonnier qu'habite un patient génie,
Avec son traversin, sa veste et son bonnet
Fabrique un homme faux et le couche à sa place,
Car déja le gardien se lève pour la ronde.
Puisse-t-il dans le feu clignant de sa lanterne
Voir un dormeur fantome enfler les tristes draps !
Cependant l'homme vrai saute un mur après l'autre.
Sa prison se dissout dans l'ampleur de la terre,
Sa liberté grandit plus vite qu' il ne court.
Et lorsque les geoliers croient bondir à ses trousses,
A chaque pas qu'ils font sur la plaine sans traces
Le hasard et l'erreur s'ouvrent en éventail.

Jules Romains (1885-1972).

[keru]

Kervrezel.

Sur les pétales de cette ferme délabrée
s'érige le candélabre d'un tremble rouillé,
fragile au sang de l'aurore,
soulevé d'un silence inimaginable.
Tout autour la neige des rosiers a des saveurs sauvages.
La-haut, contre les barreaux et contre la vitre froide,
un besoin de révolte et de lumière.

[keru]

Tu es celle qui s'avance, droite et blanche
Dans les hasards de fougères et d'écureuils
Quand grincent les sources jaunes sous les rochers qui font des petits bruits d'épée
Et qui tressaillent au passage des loutres et des corbeaux

Femme d'orge et de mais,
Femme aux lèvres subtiles et lourdes
Réveillant le chene en feu et l'orage de gelée blanche