[topic unique] LIVRE

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Message par visiteur »

Bonjour tristesse de Françoise Sagan

L'oeuvre qui révéla une adolescente qui allait devenir un écrivain assez célébré de la deuxième moitié du 20ème...
J'avoue avoir bien aimé, d'abord parce qu'écrire cet opuscule à l'adolescence n'est pas chose facile, ensuite parce que le livre porte des traces de bon écrivain, un oeil caustique sur la société française de début des 30 glorieuses...

L'histoire? Bien menée, celle d'une jeune fille que son père adepte des liaisons passagères avec des femmes beaucoup plus jeunes élève seul dans une belle villa méditerranéenne, qui découvre elle aussi le début des liaisons amoureuses... Une amie de la famille, moins superficielle se met en tête de mettre dans le droit chemin notre adolescent attardé quadragénaire pour l'entraîner dans une relation maritale, et éduquer mademoiselle de façon moins laxiste, ce que la jeune chipie n'entend pas de cette oreille...

Style classique, beaux portraits de personnages, histoire qui monte crescendo jusqu'au drame final et met à nue la vérité d'être passablement égoïstes et révélateurs d'un certain milieu facile et d'une société qui commence à se construire sur ces valeurs...

Donne très clairement envie de poursuivre l'exploration de l'oeuvre...
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Extension du domaine de la lutte par Michel Houellebecq

Le premier roman qui révéla véritablement le nouveau reac de la littérature française... Petit livre bien léché d'un ancien cadre qui doit s'emm... terriblement au ministère de l'agriculture, dévoré par la passion de la littérature et qui essaye de décrire ce qu'il voit autour de lui, un monde ridicule...
Par rapport aux oeuvres postérieures, déjà explorées, ce petit livre montre quelqu'un de pas véritablement sûr de lui, de son style, qui se raccroche beaucoup à la description de situations très concrètes, probablement vécues, avec un sens de la dérision certes, mais qui manque d'élévation.
Ce n'est donc pas un coup de génie, mais en revanche, son ton, cette façon désabusée de raconter une histoire ancre l'originalité de l'oeuvre qui va le lancer. Mais depuis lors, il a beaucoup progressé, dans le style, dans l'imaginaire, il est véritablement devenu un écrivain majeur et donc agace... :mrgreen:

L'histoire? Celle de deux cadres en mission dans des villes paumées de province pour former des boites au logiciel qu'elle distribue. Un quadra totalement désillusionné et un homologue plus jeune, moche, totalement obsédé par son absence de vie sexuelle et croyant aux valeurs et aux illusions de la société des années 90..

Petit extrait d'une soirée entre les deux collègues....

"La soirée dans un premier temps va consister à chercher un hôtel. A l'initiative de Tisserand, nous nous installons aux Armes cauchoises. Bel hôtel, très bel hôtel; mais après tout nos frais de déplacement sont remboursés, n'est ce pas?
Ensuite, il veut prendre un apéro. Mais comment donc?...
Dans le café, il choisit une table non loin de deux filles. Il s'assoit, les filles s'en vont. Décidément, le plan est parfaitement synchronisé. Bravo les filles, bravo!
En désespoir de cause, il commande un Martini dry; je me contente d'une bière. Je me sens un peu nerveux; je n'arrête pas de fumer, j'allume littéralement cigarette sur cigarette.
Il m'annonce qu'il vient de s'inscrire dans un club de gym pour perdre un peu de poids, "et aussi pour draguer, bien sûr". C'est parfait, je n'ai aucune objection.
Je me rends compte que je fume de plus en plus; je dois en être au moins à quatre paquets par jour. Fumer des cigarettes, c'est devenu la seule part de véritable liberté dans mon existence. La seule action à laquelle j'adhère pleinement, de tout mon être. Mon seul projet.

Tisserand aborde ensuite un thème qui lui est cher, à savoir que "nous autres informaticiens, nous sommes les rois". Je suppose qu'il entend par là un salaire élevé, une certaine considération professionnelle, une grande facilité pour changer d'emploi. Eh bien, dans ces limites, il n'a pas tort. Nous sommes les rois.
Il développe sa pensée; j'entame mon cinquième paquet de Camel. Peu après il termine son Martini; il veut retourner à l'hôtel pour se changer avant le dîner. Et bien c'est parfait, allons-y.

Je l'attends dans le hall en regardant la télévision. Il y'est question de manifestations étudiantes. L'une d'entre elles, à Paris, a revêtu une grande ampleur: selon les journalistes il y avait au moins trois cent mille personnes dans les rues. C'était censé être une manifestation pacifique, plutôt une grande fête. Et comme toutes les manifestations pacifiques elle a mal tourné, il y'a eu un étudiant qui a eu l'oeil crevé, un CRS la main arrachée, etc...
Le lendemain de cette manifestation géante, un défilé a eu lieu à Paris pour protester contre les "brutalités policières"; il s'est déroulé dans une atmosphère "d'une dignité bouleversante", rapporte le commentateur qui est manifestement du côté des étudiants. Toute cette dignité me fatigue un peu; je change de chaîne, et je tombe sur un clip sexy. Finalement, j'éteins.

Pour le restaurant, à mon instigation, nous allons au Flunch. C'est un endroit où l'on peut manger des frites avec une quantité illimitée de mayonnaise (il suffit de puiser la mayonnaise dans un grand seau, à volonté); je me contenterai d'ailleurs d'une assiette de frites noyées dans la mayonnaise, et d'une bière. Tisserand, lui, commande sans hésiter un couscous royal et une bouteille de Sidi Brahim. Au bout du deuxième verre de vin il recommence à jeter des regards aux serveuses, aux clientes, à n'importe qui. Pauvre garçon, pauvre garçon. Je sais bien pourquoi au fond il apprécie tellement ma compagnie: c'est parce que moi je ne parle jamais de mes petites copines, je ne fais jamais étalage de mes succès féminins. Il se sent donc fondé à supposer (à juste titre) que pour une raison ou une autre je n'ai pas de vie sexuelle; et pour lui c'est une souffrance de moins, un léger apaisement dans son calvaire".
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Message par visiteur »

L'homme qui voulut être roi et autres nouvelles de Rudyard Kipling

L'une des nouvelles les plus connues de Kipling. Pourtant je n'ai pas accroché. Une bonne raison à cela: je n'ai pas réussi à rentrer dans l'histoire, à laisser aller mon imagination derrière les mots de l'auteur, car celle-ci a été littéralement bouffée par les images du film de John Huston et l'interprétation hallucinée de Sean Connery... Impossible de ne pas revoir les images de ce film derrière le texte, impossible de s'inventer une autre vision. Un texte qui tombe à plat à cause du génie de la mise en scène d'un autre qui s'impose totalement à vous...

A défaut donc d'apprécier celle-ci, j'en ai découvert d'autres qui m'ont fait découvrir l'univers de cet auteur britannique qui a parcouru l'empire au temps de son apogée et qui a su ramener de belles histoires inspirées par ces terres... Des histoires où la rationalité occidentale est totalement battue en brêche par l'exotisme supposé de ces terres comme dans l'étrange histoire de Morrowbie Jukes, qui oscille entre le réel et le fantasme.

Dans le même registre, flirtant avec le fantastique, la marque de la bête

Dans un registre exotique, parlant avec justesse d'une certaine vie dans les Indes, la porte des cent mille peine, où il est question d'opium...

Dans un tout autre registre, bien aimé également l'homme qui fut, l'influence russe dans ces terres.

Enfin, plus classique, plus hommage à l'armée de sa gracieuse majesté, les tambours du fore and Aft.
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HHhH par Laurent Binet

Himmler Hirn heibt Heydrich, le cerveau d'Himmler s'appelle Heydrich.
Ce roman est un récit de l'opération Anthropoïde, opération qui consista en 1942 à parachuter deux résistants tchèque et slovaque dont le but était d'éliminer Reinhard Heydrich, alors nommé à Prague pour pacifier la ville.
Récit pas inintéressant surtout lorsqu'on ne connait pas en détail l'histoire de l'opération ni le CV de l'individu qui est dans la mire de Londres... L'un des esprits les plus malfaisants du IIIème reich, planificateur de la solution finale qui avait repéré toutes les qualités d'Heichman pour sa mise en oeuvre...

Au delà du côté documentaire, je ne suis pas véritablement rentré dans le bouquin. Le côté historique et roman n'arrive pas à prendre... Autant j'avais été bluffé par les bienveillantes, autant là, j'ai trouvé que l'oeuvre restait relativement plate. L'auteur n'arrive pas véritablement à rendre Heydrich à sa dimension maléfique et les deux résistants, s'ils sont peints sur les traits de jeunes gens sympathiques et courageux, ne sont guère crédibles dans les motivations qui les poussent à réaliser cet attentat suicide...

En deux mots, pas trop compris la " hype critique" qu'a suscité la publication de ce bouquin...
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La route de Cormac Mc Carthy


Il est très rare de tomber sur ce genre de bouquin. Le genre où dès les premiers mots, les premières phrases, les premières pages, on se fait littéralement happer par l’univers de l’auteur… On ne sait pas encore si cela va durer longtemps, si on se laissera emporter par cet univers simple et pourtant puissant et original, mais on se laisse porter.

De quoi s’agit-il ? L’apocalypse ou quelque chose approchant a eu lieu… Un père et son fils suivent une route et essayent dans un climat devenu hostile et en évitant des hommes dont on ne sait trop s’ils sont devenus des zombies, de gagner un endroit qu’ils imaginent plus hospitalier, le long de la côte… Car loin du réchauffement climatique, c’est le froid et la grisaille qui règnent et dont il faut essayer de sortir…

Tout dans ce récit n’est que métaphore… A ceux qui y voudraient voir une fable écologiste sur la fin de ce monde tant attendu et sponsorisée par ce cher Al Gore (entre autres…) seraient déçus… J'ignore également comment cette oeuvre a pu être adaptée au cinéma tant ce dialogue intérieur me paraît inadaptable, si ce n'est les épisodes du scénario, mais qui sans la profondeur du texte pourraient bien n'être que superficiels... De ce qui s’est passé on ne saura rien, de ce qui va se passer non plus, mais de ce qui se passe sur la route entre le père et son fils, leur environnement, et les autres, on saura tout….

Ce n’est pas un roman pessimiste ni noir, il faut y capter sa lumière rayonnante, la profonde humanité qu’il y règne, mais pas une humanité niaise, une humanité qui est capable de regarder l’individu et ses peurs dans le blanc des yeux et pourtant l’aimer.

Plus haut, en parlant de Canada, je disais que l’auteur avait un projet ambitieux, et qu’il n’arrivait pas véritablement à atteindre son ambition de mon point de vue. Là Cormac Mc Carthy a écrit un chef d’œuvre, je ne connais rien de son œuvre, la route est le premier ouvrage que j’ai lu de lui, et j’en suis resté ébahi…. Rarement lu quelque chose d’aussi puissant dans la littérature de ce début de siècle et même d’avant… Un univers d’une très grande richesse à finir de visiter d’urgence en ce qui me concerne.

Voici les premières lignes du texte

« Quand il se réveillait dans les bois dans l’obscurité et le froid de la nuit, il tendait la main pour toucher l’enfant qui dormait à son côté. Les nuits obscures au-delà de l’obscur et les jours chaque jour plus gris que celui d’avant. Comme l’assaut dont on ne sait quel glaucome froid assombrissant le monde sous sa taie. A chaque précieuse respiration sa main se soulevait et retombait doucement. Il repoussa la bâche en plastique et se souleva dans les vêtements et les couvertures empuantis et regarda vers l’Est en quête d’une lumière mais il n’y en avait pas. Dans le rêve dont il venait de s’éveiller il errait dans une caverne où l’enfant le guidait par la main. La lueur de leur lanterne miroitait sur les parois de calcite mouillées. Ils étaient là tous deux pareils aux vagabonds de la fable, engloutis et perdus dans les entrailles d’une bête de granit. De profondes cannelures de pierre où l’eau tombait goutte à goutte et chantait. Marquant dans le silence les minutes de la terre et ses heures et ses jours et les années sans s’interrompre jamais. Jusqu’à ce qu’ils arrivent dans une vaste salle de pierre où il y’avait un lac noir et antique. Et sur la rive d’en face une créature qui levait sa gueule ruisselante au-dessus de la vasque de travertin et regardait fixement dans la lumière avec des yeux morts blancs et aveugles comme des œufs d’araignée. Elle balançait la tête au ras de l’eau comme pour capter l’odeur de ce qu’elle ne pouvait pas voir. Accroupie là, pâle et nue et transparente, l’ombre de ses os d’albâtre projetée derrière elle sur les rochers. Ses intestins, son cœur battant. Le cerveau qui pulsait dans une cloche de verre mat. Elle secoua la tête de gauche à droite et de droite à gauche puis elle émit un gémissement sourd et se tourna et s’éloigna en titubant et partit à petits bonds silencieux dans l’obscurité.

A la première lueur grise il se leva et laissa le petit et laissa le petit dormir et alla sur la route et s’accroupit, scrutant le pays vers le Sud. Nu, silencieux, impie. Il pensait qu’on devait être en octobre mais il n’en était pas certain. Il y’avait des années qu’il ne tenait plus de calendrier. Ils allaient vers le Sud. Il n’y aurait pas moyen de survivre un hiver de plus par ici.

Quand il fit assez clair pour se servir des jumelles il inspecta la vallée au-dessous. Les contours de toute chose s’estompant dans la pénombre. La cendre molle tournoyant au-dessus du macadam en tourbillons incontrôlés. Il examinait attentivement ce qu’il pouvait voir. Les tronçons de route là-bas entre les arbres morts. Cherchant n’importe quoi qui eût une couleur. N’importe quel mouvement. N’importe quelle trace de fumée s’élevant d’un feu. Il abaissa les jumelles et ôta le masque de coton qu’il portait sur son visage et s’essuya le nez du revers du poignet et reprit son inspection. Puis il resta simplement assis avec les jumelles à regarder le jour gris cendre se figer sur les terres alentour. Il ne savait qu’une chose, que l’enfant était son garant. Il dit : s’il n’est pas la parole de Dieu, Dieu n’a jamais parlé.

Quand il revint le petit était encore endormi. Il retira la bâche en plastique bleue sous laquelle il dormait, la plia et l’emporta et la rangea dans le caddie de supermarché et revint avec leurs assiettes et des galettes de farine de maïs dans un sac en plastique et une bouteille en plastique contenant du sirop. Il déplia par terre la petite toile cirée qui leur servait de table et y disposa le tout et prit le revolver qu’il portait à la ceinture et le posa sur la toile et resta simplement assis à regarder le petit dormir. Il avait retiré son masque pendant la nuit et le masque était enfoui quelque part dans les couvertures. Il regardait le petit et regardait au loin entre les arbres vers la route. Ce n’était pas un endroit sûr. On pourrait les voir depuis la route maintenant qu’il faisait jour. Le petit se tourna dans les couvertures. Puis il ouvrit les yeux. Salut, Papa, dit-il .
Je suis juste là.
Je sais.

Une heure plus tard ils étaient sur la route. Il poussait le caddie et tous les deux, le petit et lui, ils portaient des sacs à dos. Dans les sacs à dos il y’avait le strict nécessaire. Au cas où ils seraient contraints d’abandonner le caddie et de prendre la fuite. Accroché à la barre de poussée du caddie il y’avait un rétroviseur de motocyclette chromé dont il se servait pour surveiller la route derrière eux. Il remonta le sac sur ses épaules et balaya du regard la campagne dévastée. La route était déserte. En bas dans la petite vallée l’immobile serpent gris d’une rivière. Inerte et exactement dessiné. Le long de la rive un amoncellement de roseaux morts. ça va ? dit-il. Le petit opina de la tête. Puis ils repartirent le long du macadam dans la lumière couleur métal de fusil, pataugeant dans la cendre, chacun tout l’univers de l’autre."
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Message par visiteur »

Un balcon en forêt de Julien Gracq

L'univers très particulier d'un des grands maîtres de la langue française.
Un récit, pas un roman ni une autobiographie même si Gracq y a mis le sentiment que lui a inspiré la drôle de guerre. Ce moment si particulier où le pays est en guerre et dans l'attente du combat en espérant subrepticement qu'il n'aura pas lieu. Même lorsque le temps est suspendu, la vie suit son cours, Gracq la suit à la hauteur de vue de son héros qui profite de ces instants.
L'univers n'est pas aussi poétique qu'habituellement même s'il reste évidemment le style. Je n'ai pas particulièrement trouvé l'auteur très à son aise dans le réalisme qu'il essaye d'introduire dans cet ouvrage... En clair, un récit qui m’a un peu déçu.

Après évidemment il y'a le style; voila comment est rapporté le dernier jour de paix et l'entrée en guerre véritable le 10 mai 1940:

"La nuit du 9 au 10 mai, l'aspirant Grange dormit mal. Il s'était couché la tête lourde, toutes ses fenêtres ouvertes à la chaleur précoce que la nuit même de la forêt n’abattait pas. Quand il se réveilla au petit matin, il lui sembla d’abord qu’il avait beaucoup rêvé : sa tête était pleine d’un bourdonnement anormal, insistant. Il avait conscience d’un vif courant d’air frais et mouillé qui coulait sur lui de la fenêtre toute proche, mais cet air glissait sur son visage avec un toucher particulier, musical et vibrant, comme s’il était issu d’un crépitement d’élytres. Il eut un moment dans son rêve confus, le sentiment purement agréable que les heures s’étaient brouillées, et que l’aube de la forêt se mêlait à un midi torride, tout électrisé de cigales. Puis l’impression se localisa, et il comprit qu’une vitre de sa fenêtre, dont le mastic était tombé, tout contre sa joue tremblait et tressautait sans arrêt dans son cadre. « C’est ma vitre, se dit-il en replongeant sa tête dans l’oreiller, il faudra que j’en dise un mot à Olivon. ». – cependant, du fond de sa demi-nuit, sans la relier du tout à ce tressautement, il sentait en même temps dans l’air du matin une note aiguë d’urgence panique qui s’enflait de seconde en seconde, une espèce de grossesse fulgurante de la journée- il prenait aussi conscience, étrangement, de la légèreté, de la minceur grotesque du toit au-dessus de lui qui paraissait s’envoler : il se recroquevillait dans son lit, mal à l’aise, nu et exposé au cœur du grondement qui coulait du ciel et s’élargissait. Deux coups frappés à sa porte le réveillèrent cette fois complètement.

-ça passe, mon yeutenant, fit Olivon derrière le portant.

C’était une curieuse voix de gorge, d’une indifférence un peu étranglée, posée quelque part entre l’incrédulité et l’affolement.

Les hommes étaient déjà aux fenêtres, nu-pieds, ébouriffés, bouclant à la hâte la ceinture de leurs culottes. Le jour n’était pas encore levé, mais la nuit pâlissait à l’est, ourlant déjà de gris le vaste horizon de mer des forêts de Belgique. L’aube mouillée était très froide ; la plante des pieds se glaçait sur le béton cru. Un énorme bourdonnement qui montait lentement vers son zénith entrait par les fenêtres ouvertes. Ce bourdonnement ne paraissait pas de la terre ; il intéressait uniformément toute la voûte du ciel, devenu soudain un firmament solide qui se mettait à vibrer comme une tôle : on pensait d’abord plutôt à un étrange phénomène météorique, une aurore boréale où le son se fut inexplicablement substitué à la clarté. Ce qui renforçait cette impression, c’était la réponse à la terre noyée dans la nuit, où rien d’humain ne bougeait encore, mais qui s’inquiétait, s’informait çà et là confusément par la voix de ses bêtes ; du côté des Buttés, dans la nuit froide où les sons portaient très loin, des chiens hurlaient sans arrêt comme à la pleine lune, et par moments, sur la basse du grondement uni, on entendait monter des sous-bois tout proches un caquettement d’alarme étouffé et cauteleux . De l’horizon, une nouvelle nappe de vrombissements commença à sourdre, à s’élargir, à monter sans hâte vers sa culmination paisible, à coulisser majestueusement sur le ciel, et cette fois, brusquement, les chiens se turent : il n’y avait plus qu’elle. Puis le grondement s’abaissa, perdant de son unisson puissant de vague lisse, laissant traîner derrière lui des hoquêtements, des ronronnements rôdeurs et isolés, et des coqs éclatèrent dans la forêt vide, sur la terre stupéfiée et vacante comme une fin d’orage : le jour commençait à se lever.

Ils se sentirent soudain transis, mais ils ne songeaient pas à fermer les fenêtres : ils guettaient, l’oreille tendue, les bruits légers que le vent commençait à promener sur la forêt. Olivon fit du café. Il s’ouvrit une discussion assez chaude. Olivon, seul, de son avis, soutenait qu’il s’agissait d’avions anglais revenant d’Allemagne.
- C’est à la flotte à Hitler qu’ils en veulent, mon yeutenant. Les Anglais, ils ne comprennent que ça, le reste ils s’en foutent.

Grange était toujours frappé du clin d’œil affranchi qu’échangeaient les soldats quand il était question de la politique anglaise. C’était pour eux le fin du fin du coup en dessous, un mystère exemplaire de fourberie sournoise.
- On verra ça dans les journaux, conclut Gourcuff qui, dans le doute, débouchait de bonne heure une bonne bouteille de vin rouge.

Mais il fut clair assez vite que la journée ne se remettrait pas de sitôt dans ses gonds. Un vrombissement de nouveau s’enfla vers sur l’horizon, moins fort cette fois-ci, sensiblement décalé vers le nord, et brusquement la traînée assez lente de points noirs qui glissait au ras de la forêt dans le ciel plus clair commença à cabrioler : deux, trois, quatre grosses explosions secouèrent le matin et, du ventre de la terre remuée, vers les cantonnements lointains des cavaliers, monta le hoquet rageur des mitrailleuses. Et cette fois, dans le carré, il se fit un silence. Une mèche de fumée grise, mesquine, presque décevante après tant de vacarme, se tordait et s’effilochait lentement, très loin au-dessus des bois. Ils la regardèrent longtemps sans rien dire.
- Faut s’habiller, conclut enfin posément Gourcuff.
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Re: [topic unique] LIVRE

Message par Bagouvic »

visiteur a écrit : Tout dans ce récit n’est que métaphore… A ceux qui y voudraient voir une fable écologiste sur la fin de ce monde tant attendu et sponsorisée par ce cher Al Gore (entre autres…) seraient déçus… J'ignore également comment cette oeuvre a pu être adaptée au cinéma tant ce dialogue intérieur me paraît inadaptable, si ce n'est les épisodes du scénario, mais qui sans la profondeur du texte pourraient bien n'être que superficiels... De ce qui s’est passé on ne saura rien, de ce qui va se passer non plus, mais de ce qui se passe sur la route entre le père et son fils, leur environnement, et les autres, on saura tout….
Je vois ton post qu'un mois plus tard, ct'e loose :mrgreen:

Ayant beaucoup aimé le roman et vu le film, ton interrogation résume à peu près ce qu'est le film par rapport à l’œuvre originale. C'est une adaptation fidèle mais qui passe un peu à côté de ce qui fait la force du roman. Les principaux épisodes de l'histoire sont là, la mise en image de cet univers gris apocalyptique est plutôt réussie (la principale qualité du film je pense, avec l'excellente interprétation de Viggo Mortensen aussi), mais à vouloir trop coller il passe à côté de l'essentiel. Loin d'être un mauvais film, certains passages sont même très réussis, mais il ne parvient jamais à prendre une dimension supérieure, la faute je pense à un trop grand respect du support original. Or cinéma et littérature ne fonctionnent pas de la même façon, et les adaptations trop "scolaires" sont rarement de grandes réussites.
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Message par awaremannn »

Bagouvic a écrit :
visiteur a écrit : Tout dans ce récit n’est que métaphore… A ceux qui y voudraient voir une fable écologiste sur la fin de ce monde tant attendu et sponsorisée par ce cher Al Gore (entre autres…) seraient déçus… J'ignore également comment cette oeuvre a pu être adaptée au cinéma tant ce dialogue intérieur me paraît inadaptable, si ce n'est les épisodes du scénario, mais qui sans la profondeur du texte pourraient bien n'être que superficiels... De ce qui s’est passé on ne saura rien, de ce qui va se passer non plus, mais de ce qui se passe sur la route entre le père et son fils, leur environnement, et les autres, on saura tout….
Je vois ton post qu'un mois plus tard, ct'e loose :mrgreen:

Ayant beaucoup aimé le roman et vu le film, ton interrogation résume à peu près ce qu'est le film par rapport à l’œuvre originale. C'est une adaptation fidèle mais qui passe un peu à côté de ce qui fait la force du roman. Les principaux épisodes de l'histoire sont là, la mise en image de cet univers gris apocalyptique est plutôt réussie (la principale qualité du film je pense, avec l'excellente interprétation de Viggo Mortensen aussi), mais à vouloir trop coller il passe à côté de l'essentiel. Loin d'être un mauvais film, certains passages sont même très réussis, mais il ne parvient jamais à prendre une dimension supérieure, la faute je pense à un trop grand respect du support original. Or cinéma et littérature ne fonctionnent pas de la même façon, et les adaptations trop "scolaires" sont rarement de grandes réussites.
Ayant vu le film puis lu le roman sans beaucoup l'aimer (mais quand même plus que le film :mrgreen: ), je suis d'accord avec toi. L'adaptation respecte l'histoire et les péripéties du roman, mais l'adapte mal car n'en retranscrit pas la pensée.
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Message par visiteur »

Bagouvic a écrit :
Je vois ton post qu'un mois plus tard, ct'e loose :mrgreen:

Ayant beaucoup aimé le roman et vu le film, ton interrogation résume à peu près ce qu'est le film par rapport à l’œuvre originale. C'est une adaptation fidèle mais qui passe un peu à côté de ce qui fait la force du roman. Les principaux épisodes de l'histoire sont là, la mise en image de cet univers gris apocalyptique est plutôt réussie (la principale qualité du film je pense, avec l'excellente interprétation de Viggo Mortensen aussi), mais à vouloir trop coller il passe à côté de l'essentiel. Loin d'être un mauvais film, certains passages sont même très réussis, mais il ne parvient jamais à prendre une dimension supérieure, la faute je pense à un trop grand respect du support original. Or cinéma et littérature ne fonctionnent pas de la même façon, et les adaptations trop "scolaires" sont rarement de grandes réussites.
C'est un lieu commun de dire que les très grands bouquins ne donnent que de piètres films et que certains chefs d'oeuvre du cinéma sont issus de bouquins pitoyables...
Mais en fait, ce n'est pas forcément vrai.. Je pense au Guépard par exemple qui est un bouquin que j'adore et dont l'adaptation très différente (justement parce qu'il était impossible de transposer le monologue intérieur de l'oeuvre) est aussi à mon sens très bien réussie
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Message par visiteur »

awaremannn a écrit : Ayant vu le film puis lu le roman sans beaucoup l'aimer (mais quand même plus que le film :mrgreen: ), je suis d'accord avec toi. L'adaptation respecte l'histoire et les péripéties du roman, mais l'adapte mal car n'en retranscrit pas la pensée.
Pourquoi t'as pas aimé le bouquin?
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Message par awaremannn »

visiteur a écrit :
awaremannn a écrit : Ayant vu le film puis lu le roman sans beaucoup l'aimer (mais quand même plus que le film :mrgreen: ), je suis d'accord avec toi. L'adaptation respecte l'histoire et les péripéties du roman, mais l'adapte mal car n'en retranscrit pas la pensée.
Pourquoi t'as pas aimé le bouquin?
Je l'ai lu d'une traite, objectivement c'est bien écrit, et le propos est pas inintéressant, mais je n'ai jamais été happé par ce monde, je suis toujours resté en dehors, je n'y ai jamais cru si tu veux. Peut-être parce que c'est trop métaphorique, et donc trop vague sur leur vie d'avant et sur ce qui s'est passé. Peut-être aussi parce que je m'attendais à un bouquin qui ressemble plus à de la sf post - apocalyptique classique, je ne sais pas trop.

Le film lui, montre bien le monde gris et hostile du livre, sauf qu'il ne retranscrit pas bien la réflexion à laquelle il sert de support, et comme il reste tout aussi vague sur l'histoire elle même, il ne reste rien d'intéressant.
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Message par visiteur »

awaremannn a écrit : Je l'ai lu d'une traite, objectivement c'est bien écrit, et le propos est pas inintéressant, mais je n'ai jamais été happé par ce monde, je suis toujours resté en dehors, je n'y ai jamais cru si tu veux. Peut-être parce que c'est trop métaphorique, et donc trop vague sur leur vie d'avant et sur ce qui s'est passé. Peut-être aussi parce que je m'attendais à un bouquin qui ressemble plus à de la sf post - apocalyptique classique, je ne sais pas trop.

Le film lui, montre bien le monde gris et hostile du livre, sauf qu'il ne retranscrit pas bien la réflexion à laquelle il sert de support, et comme il reste tout aussi vague sur l'histoire elle même, il ne reste rien d'intéressant.
Moi totalement happé par le truc, par ce qui s'y passe, la relation père fils et leur rapport au monde extérieur et la façon dont le fils doit y faire face seul à la fin puisqu'il n'a plus le choix... Pas du tout cherché le côté sf, c'est pour moi tout sauf de la sf ce truc... Un peu comme, même si la comparaison est très osée, la métamorphose de Kafka n'a rien à voir avec du fantastique.

Bon sinon, on est bientôt à l'autre équinoxe, t'en es où dans la lecture des deux bouquins désespérants, toujours pas eu de retour et après ce sera fini pour 6-7 mois si tu ne veux pas connaître les affres de la pulsion suicidaire... :mrgreen:
awaremannn
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Re: [topic unique] LIVRE

Message par awaremannn »

visiteur a écrit : Bon sinon, on est bientôt à l'autre équinoxe, t'en es où dans la lecture des deux bouquins désespérants, toujours pas eu de retour et après ce sera fini pour 6-7 mois si tu ne veux pas connaître les affres de la pulsion suicidaire... :mrgreen:
:mrgreen:
J'ai beaucoup aimé voyage au bout de la nuit. L'histoire, le(s) personnage(s), le propos sur le monde et les petits êtres vicieux qui y vivent :mrgreen: ... j'ai trouvé tout ça presque vrai.

J'ai eu pas mal de soucis pour me mettre dedans à cause du style de l'écriture, mais on s'habitue, et c'est cohérent avec le personnage narrateur.

Je connaissais surtout ce bouquin pour le début, la description des horreurs de la guerre. Je crois que j'avais lu et étudié des extraits à la fin du collège ou au lycée d'ailleurs. Mais après l'avoir lu, je comprend pourquoi à l'école on ne m'a parlé que de cette partie là. :mrgreen:
Aujourd'hui, le patriotisme et le courage du soldat qui part à la guerre n'est plus une valeur morale très à la mode, donc j'imagine que ce personnage profondément lâche, sans fibre patriotique, ne choque finalement plus grand monde. En tout cas, je pensais déjà qu'il fallait être sacrément bizarre, avoir un sacré besoin de reconnaissance, pour avoir envie d'aller se faire tirer dessus (ou même avoir envie de tirer sur d'autres) juste parce que quelques hommes politiques ou généraux en auraient décidé ainsi.
C'est plutôt tout le reste du roman, qui décrit les bassesses des gens ordinaires en temps de paix ordinaire, qui est dérangeant et qui fait la force de ce bouquin.

Pas encore lu le bruit et la fureur, mais je ne vais pas tarder :wink:
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Re: [topic unique] LIVRE

Message par Bagouvic »

awaremannn a écrit :Pas encore lu le bruit et la fureur, mais je ne vais pas tarder :wink:
Il est excellent, mais faut rentrer dedans, le style le rend assez difficile à lire, parfois même un peu insaisissable. A lire en gros bloc plutôt que par petits bouts, sinon t'es paumé :mrgreen:
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Re: [topic unique] LIVRE

Message par visiteur »

awaremannn a écrit : :mrgreen:
J'ai beaucoup aimé voyage au bout de la nuit. L'histoire, le(s) personnage(s), le propos sur le monde et les petits êtres vicieux qui y vivent :mrgreen: ... j'ai trouvé tout ça presque vrai.

J'ai eu pas mal de soucis pour me mettre dedans à cause du style de l'écriture, mais on s'habitue, et c'est cohérent avec le personnage narrateur.

Je connaissais surtout ce bouquin pour le début, la description des horreurs de la guerre. Je crois que j'avais lu et étudié des extraits à la fin du collège ou au lycée d'ailleurs. Mais après l'avoir lu, je comprend pourquoi à l'école on ne m'a parlé que de cette partie là. :mrgreen:
Aujourd'hui, le patriotisme et le courage du soldat qui part à la guerre n'est plus une valeur morale très à la mode, donc j'imagine que ce personnage profondément lâche, sans fibre patriotique, ne choque finalement plus grand monde. En tout cas, je pensais déjà qu'il fallait être sacrément bizarre, avoir un sacré besoin de reconnaissance, pour avoir envie d'aller se faire tirer dessus (ou même avoir envie de tirer sur d'autres) juste parce que quelques hommes politiques ou généraux en auraient décidé ainsi.
C'est plutôt tout le reste du roman, qui décrit les bassesses des gens ordinaires en temps de paix ordinaire, qui est dérangeant et qui fait la force de ce bouquin.

Pas encore lu le bruit et la fureur, mais je ne vais pas tarder :wink:
Oui tu as totalement raison, ce sont les 300-400 dernières pages du bouquin qui en font la force, c'est très difficile d'écrire aussi bien et aussi longtemps sur le quotidien. Le début permet de situer l'époque, les ravages de la 1ère guerre qui fut une expérience épouvantable pour une génération, le colonialisme, le dégoût que lui inspire ce qui constitue la société montante de l'époque, à savoir la société américaine, mais le fond de l'histoire, c'est le quotidien en temps "normal"...
Le style est encore assez classique, assez oral certes, mais il ne trouvera sa véritable plume qu'avec Mort à Crédit. Mais il avait déjà tout dit dans le voyage, c'est vraiment difficile pour un écrivain de renouveler ses thèmes, ses obscessions, ses visions... Tout est vrai, terriblement vrai, mais tout l'être humain ne se résume pas à cela, même si c'est aussi cela....

Pour Faulkner, le style est beaucoup plus difficile, il faut avoir la volonté de rentrer dedans, mais ça vaut le coup... :wink:
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