[topic unique] LIVRE

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visiteur
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Re: [topic unique] LIVRE

Message par visiteur »

A défaut d’avoir lu le dernier opus romanesque d’un nos brillants écrivains (j’en suis plutôt à m’attaquer à la première œuvre qui l’avait fait découvrir à la fin des années 1990) qui fit la une littéraire de janvier, il m’a été donné de lire une critique assez réjouissante de l’ouvrage en question, que je reproduis ici…

Comme je sais ce thread parcouru par des esprits progressistes, tolérants et ouverts sur la vie et les êtres tels qu’on aimerait qu’ils soient mais qui ne le sont décidément pas, en ces temps œcuméniques où ce cher pays défile sur l’idée pathétiquement éculée qu’il se fait de lui même, ces quelques lignes ne pourront que les réjouir…

« Présentation de l’adjudant-chef Poujard au narrateur de Soumission.

Dans Soumission, un professeur de littérature du XIXème siècle entretient avec Huysmans, auquel il a consacré sa thèse, une relation qui a ce caractère d’obsession douce et de sentiment de propriété ou de location durable à laquelle on reconnaît le rapport d’un « spécialiste » à son sujet. Ce personnage est plutôt positif en comparaison de ceux des autres romans de Michel Houellebecq : certes, il a beaucoup de mal avec le fonctionnement de son micro-ondes, il est affecté de troubles modérés de l’érection, cela fait 10 ans qu’il n’a plus connu d’émotions intellectuelles, et il ne sait pas retenir la jeune femme qui voudrait partager sa vie ; mais il parvient toutefois à conserver assez d’attractivité érotique pour coucher avec ses étudiantes, et plus généralement à se rapprocher d’autres êtres et susciter des situations nouvelles afin de rompre son isolement au moment où il pourrait basculer dans une dépression végétative traversée d’éructation de haine et de phase d’euphorie consumériste, comme parfois les personnages de l’auteur en subissent l’expérience. Bref, il est presque guilleret, entreprenant et extraverti. Ce personnage, donc, se trouve confronté à l’élection d’un président de la République musulman et islamiste, à la faveur d’une combinaison où les socialistes et François Bayrou (décrit en cheval de Troie de l’islamisme, totalement épanoui dans le rôle de l’idiot utile, du Ganelon malgré lui, de l’ectoplasme fatal) s’allient au parti musulman pour faire barrage au Front National. Notre professeur, à qui les nouvelles autorités musulmanes, devenues prépondérantes à l’université, proposent, dans un premier temps, une retraite avantageuse pour se débarrasser de lui, ce qu’il accepte, ressent dans cette situation nationale inouïe un trouble profond, déclencheur d’une crise mystique (toutefois de faible intensité, comme le fonds de son caractère). Très liée au souvenir de la conversion de Huysmans (relire l’abbé Mugnier d’urgence !), cette crise ne débouchera sur rien de nouveau dans sa vie spirituelle. Puis, il se voit proposer par le nouveau Président de la Sorbonne, converti depuis longtemps à l’islam, et désireux d’entretenir le prestige de la marque Sorbonne en attirant des spécialistes reconnus, de réintégrer l’université avec un salaire aux meilleurs standards internationaux, à la légère condition qu’il se convertisse également et qu’il convole avec les deux ou trois femmes judicieusement sélectionnées qu’une marieuse expérimentée lui désignerait. Le narrateur envisage-le récit final est au conditionnel- de se laisser faire, et aborde avec un certain enthousiasme l’idée de cette deuxième vie aristocratique et presque sacerdotale. Aristocratique, car quand on a trois femmes, il y a forcément deux dominés qui sont célibataires ; et sacerdotale, car enseigner Huysmans en Sorbonne à des mahométanes voilées a quelque chose de surréel et de vaguement sacré.

Revenons sur sa crise mystique chrétienne, qui connaît deux occasions de dénouement, également ratées. La première a pour cadre le monastère où Huysmans s’est retiré, où le narrateur séjourne après qu’il l’eut visité une première fois quand il écrivait sa thèse sur l’auteur d’A rebours. Indisposé par les propos de ravi de la crèche du moine qui l’accueille, contrarié par l’impossibilité de fumer dans sa chambre sans être obligé d’ouvrir sa fenêtre et d’avoir froid, affligé par la laideur banale de l’endroit, qui lui rappelle un supermarché de la rue de Passy, et enfin sans résistance face aux forces de rappel de la rationalité individualiste de sa formation intellectuelle, il se détourne franchement du « chemin de lumière » qu’on lui propose. Ont joué, en lui, la résistance de l’humeur, des habitudes et de l’intellect. Plus étonnante (et magnifiquement décrite) est la seconde occasion ratée : sa méditation devant la Vierge noire de Rocamadour. Devant ce chef d’œuvre de l’esprit féodal et de la chrétienté, il comprend très bien qu’il n’a pas affaire à une représentation affadie, biaisée, commune, sucrée ou naïve de la Vierge et de l’enfant. Il est en face de la monarchie divine, de la souveraineté de Marie, du mystère de l’incarnation dans sa représentation exacte. Il est bien à la limite de l’autre monde, dont les portes sont ouvertes par la sainteté de la Vierge. Son esprit sérieux, inaccessible aux approximations, aux contes, aux récits faits pour satisfaire le désir d’immunité des esprits vulgaires, s’en trouve contenté : il est devant une œuvre religieuse qu’il respecte, comme devant une hypothèse intelligente, féconde pour l’esprit. Mais au bout d’un certain temps il voit s’éloigner, presque physiquement, Marie et le Christ, le sens se perdre, l’appel devenir inaudible ; l’injonction disparaît et l’ordre se retire. Pas de conversion, donc, mais une sorte de déception sereine de plus. Il est vrai que le narrateur est du genre à pourrir sur pied devant le nœud gordien.

C’est ici que je crois utile d’introduire l’adjudant-chef Poujard, en m’excusant du caractère personnel de cette évocation.

A l’école spéciale se Saint Cyr, on regroupe les élève officiers d’infanterie en sections. Chaque section est commandée par un officier, qui décide de la manière dont il appliquera le programme de la formation et assure en quelque sorte la conduite intellectuelle et morale de la section. Il dispose, pour l’exécution des tâches matérielles et de proximité, telles que réserver un stand de tir, programmer une séance de musculation ou inspecter le strict rangement des chambrées ou le bon nettoyage des armes, d’un sous officier chef de section adjoint, en l’occurrence l’adjudant-chef Poujard. Ce personnage essentiel est au contact permanent de la troupe, à la laquelle il insuffle l’esprit de discipline et transmet le caractère du soldat. De formation intellectuelle rustique mais solide, le sous-officier est généralement recruté dans le peuple. J’ai toujours trouvé très étonnant qu’un homme du peuple serve un ordre supérieur ; le service de l’ordre vertical est un miracle conservateur insondable, et le fait que certains considèrent que le bien de la communauté est supérieur à la revendication à l’égalité, voire à la justice, est une faculté prodigieuse, une divine surprise anthropologique qu’on trouve dans l’armée, rarement ailleurs. L’adjudant-chef Poujard avait avait une passion à laquelle il sacrifiait avec une conscience d’artisan ardent : transformer une bande d’intellectuels parisiens en une troupe qui se tienne. J’aurais pu, à l’époque, m’en tenir à l’explication de surface selon laquelle il prenait une revanche sociale doublée de plaisir sadique à me fatiguer, me contrarier, me dresser, habituer mon esprit à être en éveil constant, et à me faire obéir dans la confiance absolue à l’ordre reçu. Certes, botter intensément le train pendant quelques mois à un aristo (la séquence « de Viry du pommeau de la rampe de l’escalier de corvée de chiottes demain matin » semblait quand même le faire rire) sorti de Sciences Po et de la Sorbonne, de surcroît muni de lunettes rondes et tenant, en dehors du service, des propos vaguement de gauche, ne devait pas lui déplaire, mais ce n’était pas ce qui occupait son esprit. L’essentiel était le soin qu’il apportait à la discipline. Il considérait qu’il avait qu’il avait à convertir à la discipline ma personne et mes camarades, qui étions à peu près tous habitués à une existence d’étudiant parisien avec ce que cela signifie de relâchement de mœurs, de négligé dans l’aspect, d’horaires erratiques, de parasitisme social et d’ironie critique. J’avais déjà une idée de la discipline, mais je croyais son apprentissage réservé à la période enfantine, une sorte de tradition de collège ; ma surprise fut grande en découvrant qu’elle pouvait s’appliquer à l’âge adulte.

J’aurais pu convoquer, plutôt que l’adjudant-chef Poujard, Ignace de Loyola ou Baltasar Gracian pour introduire le rôle central que la discipline joue dans le projet humaniste chrétien (après tout, j’ai fait une thèse de lettres en Sorbonne moi aussi). Mais la rustique ontologie de Poujard et la simplicité de sa condition sociale plaident en faveur de l’universalité de la vertu de la discipline. C’est par l’effet sur la mentalité populaire que l’on reconnaît les fruits d’une doctrine. La discipline, c’est l’arrachement quotidien à sa pente naturelle. C’est le réveil et l’éveil, la curiosité que l’on s’impose pour le monde, qui prépare l’amour de l’harmonie. Elle est inventée pour créer quotidiennement le renoncement nécessaire à son élévation. A ce titre, elle est haïssable, surtout pour qui jouit d’un pouvoir d’achat lui permettant de glisser sur sa pente naturelle. Les nantis cherchent à réserver la discipline aux classes laborieuses- presque tous les plaisirs des pauvres sont interdits, notait Céline. Chez le narrateur de Houellebecq, le ressort disciplinaire de l’élévation est brisé. Il a certes connu des moments relevés d’excitation et même d’exigence intellectuelles lorsqu’il a écrit sa thèse sur Huysmans, mais sa vocation reste quand même très liée à la garantie de l’emploi offerte aux enseignants, et à ce désir de rester indifférent qui fait le fond de l’individualisme bourgeois. Indifférent et rassuré, planqué et seul, il est dans un état animal ; il a des réserves dans son terrier et il ne lui reste que son intelligence pour aborder la condition humaine. Il sirote l’existence, au chaud. L’intelligence est compatible avec la brutalité, c’est à dire la veulerie qui ne connaît que la force. Certes, on peut être discipliné et idiot. Mais on ne peut pas être discipliné et tout à fait veule. C’est au fond l’indiscipline, c’est à dire l’oubli de la nécessité de se contrarier pour aller plus haut, qui fait la soumission du narrateur à son destin de collaborateur de l’université islamique, et qui rend impossible sa conversion. Le narrateur est incapable de s’intéresser vraiment aux causes politiques, idéologiques et spirituelles de cette fin de partie de la civilisation française- par exemple, il rate une bonne partie du débat présidentiel à la télévision parce qu’il se bat avec son micro-ondes dans la pièce d’à côté. Il est paniqué par les évènements, mais la procrastination vers laquelle tend son esprit à la fois inquiet et indifférent l’emporte toujours, et son comportement est au fond calqué sur l’axiome de cet homme politique radical-socialiste dont j’oublie le nom : il suffit de ne pas traiter un problème pour qu’il trouve sa solution. Bref, il règne un climat de veulerie rationnelle épouvantable dans ce roman, et je crains qu’encore une fois, l’art romanesque de Houellebecq m’ait impressionné. Ce désir irrépressible que je ressens de me faire moi-même l’équivalent technique de l’adjudant Poujard pour botter le train à ses personnages est un signe très sûr de réussite romanesque. Pour témoigner de la force d’évocation vitale de Balzac, Wilde disait que son plus grand chagrin avait été la mort de Lucien de Rubempré. Les personnages de Houellebecq me rendent moi même personnage, ce qui est un aveu d’incapacité critique et d’inaptitude aux fonctions d’enseignement (que pourtant j’exerce, allez comprendre). Je voudrais entrer dans ce livre comme on délivre un lieu saint profané ; c’est tout à fait déraisonnable.

Toute l’angoisse distillée par ce roman, qui est en quelque sorte le pendant fictionnel du Suicide français de Zemmour, avec un amour de la catastrophe plus prononcé, provient de l’élection d’un président de la République islamiste, événement qui signe la fin de la civilisation française, si l’on considère que celle-ci s’étend au moins de Charlemagne (couronné empereur à Rome par le pape le jour de Noël 800, si je me souviens bien) à nos jours, et qu’elle a été façonné par le christianisme, principe vivant qui a agi sur les relations entre les hommes et les femmes, sur la loi et les institutions. Du moins jusqu’à François Hollande, qui a un rapport à peine poli et tout à fait décontracté avec la transcendance. Tous les présidents de la Vème République , à sa notable exception près, ont senti qu’il ne fallait pas plaisanter avec leur appartenance, fût-elle pleine de restriction mentale, à la religion catholique. Le catholicisme, c’est comme le paysage et les paysans : même affadi, même enlaidi, même l’ombre de lui même, il a été là et il est encore là ; et même quand nous nous en éloignons, nous nous sentons coupables de l’oublier. Le clocher nous accuse : c’est qu’il nous parle. On fréquente le catholicisme comme on rend visite à une grand mère dans un état végétatif, mais cette visite est sacrée, et les mômes iront de force s’il le faut. Même si plus personne ne connaît la liturgie, le catéchisme et les Evangiles, chacun sait que Pâques est la promesse de la vie éternelle pour tous, et qu’à Noël, tout recommence. François Hollande aura marqué son règne par la disparition de notre horizon eschatologique collectif dans les égouts, et il est peut être- c’est en tout cas l’hypothèse de ce roman- en phase avec les Français. Il a peut être fait la synthèse, et considéré que le rapport de force était en faveur de l’oubli. La particularité de François Hollande, c’est qu’il ne se contente pas d’exister aux côtés du catholicisme, de jouer le rôle bien répertorié du mécréant à la tête du royaume très catholique (le régent, Talleyrand etc….), mais qu’il affiche son absence de commerce avec l’invisible comme si ceux qui pourraient le lui reprocher n’avaient plus d’importance, qu’il lui fallait avant tout lancer des œillades aux déchristianisés. Giscard, Chirac, Sarkozy allaient à la messe, Mitterrand ne cessait de convoquer les curés à l’Elysée, Hollande, non. Entre lui et l’hypothèse de l’immortalité de l’âme, il y’a un programme spatial. Il est en cela très proche du narrateur de Soumission, qui a bien, comme tout le monde, ses interrogations sur les fins dernières, mais qui toujours retombe dans l’indifférence, dans une forme de neutralité de son existence (elle est sans lien avec un sens), qui procède d’une conception, déguisée en constatation navrée, selon laquelle la vie est ennuyeuse, frustrante, et qu’il n’y a que les distractions et les excitations qui valent la peine d’être vécues. La vie se traverse avec des excitants et des hallucinogènes, et la politique en fait partie. Existentialiste sans conscience, plombée dans cette vie naturellement grise et artificiellement rose, le héros de Houellebecq bricole une forme de soumission perverse au plus fort, de déni de dignité, d’abandon d’ambition. On peut lire ce roman comme le désir qu’à ce professeur de se débarrasser de Huysmans, c’est à dire d’annihiler la vie intérieure qu’il a observé chez l’auteur d’A rebours, et encore plus d’éliminer les tourments spirituels, qu’il considère comme une hystérie ridicule héritée d’un autre âge.

Il y réussit d’ailleurs, il s’épanouit quand son destin est pris en charge par les nouvelles autorités, quand il a abdiqué toute prétention à opposer son sacré au sacré des autres. C’est un pion. L’homme sans vie intérieure est un pion. Ce que suggère Houellebecq, c’est que la France est composée de pions, prêt à entrer comme un seul homme, au nom du maintien des avantages de la civilisation matérielle, dans un monde qui n’a plus rien à voir avec celui qui les a précédés et a permis leur existence. La France : de la matière dominée par une métaphysique plus forte qu’elle, forcément plus forte qu’elle.

Il serait ridicule de procéder comme Naulleau le fit en son temps, c’est à dire de critiquer ce roman en prenant le point de vue de quelqu’un qui s’y promènerait, indigné, animé d’une sainte colère ou d’une laïque colère, ou d’une humaniste colère, en accusant les personnages d’éteindre les aspirations nationales à la liberté et les aspirations humaines à l’élévation. Si je cédais à cette tentation, j’irais partout criant que Michel Houellebecq est un décliniste auquel il faut retirer son passeport. La réalité, c’est que ce roman cuisant pose précisément l’équation dans laquelle l’esprit d’un individu n’a plus aucune capacité à agir sur la société, sur les autres, et à la fin, sur sa vie propre. C’est la recette pour devenir à la fois intransitif et assujetti. Le narrateur est tenu par la règle et il ne tient pas la règle. La notion de choix s’est dissoute dans la notion d’Etat. Au fond, Houellebecq est très fidèle au principe majoritaire, au groupe dominant, à l’idée-force qui chemine, il a le nez de Michelet sur ce terrain là. C’était le cas dans Extension du domaine de la lutte, qui captait la vie sinistre des cadres moyens du secteur tertiaire marchand, groupe central des salariés du privé, pilier de notre système, dont la volonté est décisive pour façonner les propositions sur le devenir de la société. Dans Soumission, c’est l’absence d’idées générales qui fait la décision, la nullité des principes qui opère, ou plutôt laisse opérer les facteurs extérieurs. Dans tous ses romans un principe de force structurante agit, sur lequel l’histoire embraye. Et dans le même temps, l’individu est de plus en plus seul. Il y’a le grand, l’histoire, qui est paradoxalement mue par des atomes isolés et sans efficacité sociale. Le grand, l’histoire, et le petit, l’individu, ne devraient pas s’articuler puisque l’individu n’est plus capable de s’agréger à d’autres individus pour la façonner. Il ne devrait pas y avoir d’histoire sans collectivité. Et pourtant si, il y’en a une, mais elle vient d’ailleurs. L’esprit, c’est à dire le souffle, disperse les petits granulés légers que sont devenus les Français. »



Marin de Viry
Bagouvic
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Re: [topic unique] LIVRE

Message par Bagouvic »

visiteur a écrit :A défaut d’avoir lu le dernier opus romanesque d’un nos brillants écrivains (j’en suis plutôt à m’attaquer à la première œuvre qui l’avait fait découvrir à la fin des années 1990) qui fit la une littéraire de janvier, il m’a été donné de lire une critique assez réjouissante de l’ouvrage en question, que je reproduis ici…
Tu attaques Extension du domaine de la lutte ? J'avais beaucoup apprécié, assez rapide à lire et d'un justesse désespérante (heureusement que je l'avais lu un été sinon... :mrgreen: ). Un premier livre assez incontournable où l'univers particulier typique de l'auteur est déjà en place. Pas encore lu le dernier, mais ça sera comme d'hab' avec plaisir que je m'y plongerai.
visiteur
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Re: [topic unique] LIVRE

Message par visiteur »

Oui c'est bien à extension du domaine de la lutte que je m'attaque.. J'avais vu le film qui en avait été tiré et j'ai envie d'aller voir ce qu'il en est du bouquin en lui même.

Le côté désespérant de l'oeuvre de l'auteur, je connais déjà... J'ai entendu dire que son style avait beaucoup progressé au fur et à mesure de ses publications, peut être aussi qu'il n'était pas aussi sûr de lui au tout début de son oeuvre et qu'il a fait un roman court pour se tester... Faudrait aussi que je lise ce qu'il a écrit sur Lovecraft, un univers aussi très intéressant

Jusqu'à présent, le seul bouquin que je suis content d'avoir lu en été question désespoir, c'est le Voyage de Céline... Le reste c'est de la petite bière à côté, mais je n'ai pas encore lu une ligne de Dostoievski va falloir y remédier... :mrgreen: Tiens sinon, tant que j'y pense, si t'as l'occasion, le chapitre II du bruit et la fureur de Faulkner dans le genre... :lol:
Bagouvic
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Re: [topic unique] LIVRE

Message par Bagouvic »

Voyage au bout de la nuit devrait être au programme de l'éducation nationale, il faut tuer toute illusion dès le plus jeune âge :mrgreen:

Pas lu Faulkner, j'en ai entendu parler, faudra que je me le fasse quand viendront les beaux jours. Sinon j'aime bien aussi conseiller Bukowski, dans l'genre désespérant c'est pas mal aussi.
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Re: [topic unique] LIVRE

Message par visiteur »

Comme l'avait excellement dit Mgr Lustiger dans une conférence à laquelle j'avais assisté à la Sorbonne, il ne faut pas découvrir la Bible avec l'Eclésiaste, il avait même dit que le plus tard possible c'était le mieux... :mrgreen: bah la littérature c'est la même chose, Valjean avant Bardamu... De toute façon j'aurais rien compris à l'époque de l'educ et c'est bien mieux ainsi... :lol:

Faulkner, faut s'accrocher, vraiment pas facile de rentrer dans son univers et Bukowski, ça sera après Dostoievski... :mrgreen:
awaremannn
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Re: [topic unique] LIVRE

Message par awaremannn »

visiteur a écrit : Jusqu'à présent, le seul bouquin que je suis content d'avoir lu en été question désespoir, c'est le Voyage de Céline... Le reste c'est de la petite bière à côté, mais je n'ai pas encore lu une ligne de Dostoievski va falloir y remédier... :mrgreen: Tiens sinon, tant que j'y pense, si t'as l'occasion, le chapitre II du bruit et la fureur de Faulkner dans le genre... :lol:
Pour fêter la fin de l'hiver je me suis justement acheté le voyage au bout de la nuit et le bruit et la fureur :mrgreen:
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visiteur
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Re: [topic unique] LIVRE

Message par visiteur »

Tu te décides à rentrer dans l'âge adulte?... :mrgreen:

Le bruit et la fureur, au bout de 10 pages, tu vas avoir envie de le jeter par la fenêtre, rien d'anormal à ça.... :lol: Ensuite, c'est toi qui voit si t'as envie de t'accrocher ou pas...

Le voyage, avant l'équinoxe, c'est quand même très risqué... :mrgreen: Attends de voir si le printemps sera pluvieux ou pas avant de l'ouvrir, surtout que dès le début, les gardes suisses te mettent dans l'ambiance.... :mrgreen:
Hugues Marcel
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Re: [topic unique] LIVRE

Message par Hugues Marcel »

awaremannn a écrit :
visiteur a écrit : Jusqu'à présent, le seul bouquin que je suis content d'avoir lu en été question désespoir, c'est le Voyage de Céline... Le reste c'est de la petite bière à côté, mais je n'ai pas encore lu une ligne de Dostoievski va falloir y remédier... :mrgreen: Tiens sinon, tant que j'y pense, si t'as l'occasion, le chapitre II du bruit et la fureur de Faulkner dans le genre... :lol:
Pour fêter la fin de l'hiver je me suis justement acheté le voyage au bout de la nuit et le bruit et la fureur :mrgreen:
Pour le "voyage", j'espère que ta as acheté la magnifique édition "Futuropolis Gallimard" illustrée par Tardi.
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"Ce sont des jeunes du club qui ont pensé au logo pendant le stage des vacances de Paques" - Un de St-Vallier
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Re: [topic unique] LIVRE

Message par awaremannn »

Hugues Marcel a écrit :
awaremannn a écrit :
visiteur a écrit : Jusqu'à présent, le seul bouquin que je suis content d'avoir lu en été question désespoir, c'est le Voyage de Céline... Le reste c'est de la petite bière à côté, mais je n'ai pas encore lu une ligne de Dostoievski va falloir y remédier... :mrgreen: Tiens sinon, tant que j'y pense, si t'as l'occasion, le chapitre II du bruit et la fureur de Faulkner dans le genre... :lol:
Pour fêter la fin de l'hiver je me suis justement acheté le voyage au bout de la nuit et le bruit et la fureur :mrgreen:
Pour le "voyage", j'espère que ta as acheté la magnifique édition "Futuropolis Gallimard" illustrée par Tardi.
non malheureusement je connaissais pas cette édition, c'est juste acheté un livre de poche tout bête...
visiteur a écrit :Tu te décides à rentrer dans l'âge adulte?... :mrgreen:

Le bruit et la fureur, au bout de 10 pages, tu vas avoir envie de le jeter par la fenêtre, rien d'anormal à ça.... :lol: Ensuite, c'est toi qui voit si t'as envie de t'accrocher ou pas...

Le voyage, avant l'équinoxe, c'est quand même très risqué... :mrgreen: Attends de voir si le printemps sera pluvieux ou pas avant de l'ouvrir, surtout que dès le début, les gardes suisses te mettent dans l'ambiance.... :mrgreen:
oui c'est d'atteindre la trentaine, ça m'a foutu un coup... :mrgreen:

je te dirais ça bientôt :wink:
Modifié en dernier par awaremannn le mar. 03 mars 2015 10:45, modifié 1 fois.
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Message par visiteur »

L'immeuble Yacoubian d'Alaa el Aswany

Pas trop habitué dans la littérature non occidentale pour faire simple, aussi le regard que je peux jeter sur ce bouquin n'est peut être pas très juste. En fait j'ai été plutôt surpris de ne pas trop trouver de très grandes différences avec ce que j'ai l'habitude de lire, c'est peut être aussi pour ça que ce livre a beaucoup fait parlé de lui quand il a été publié il y'a une petite dizaine d'années.

Il y'est question de l'Egypte à travers un prisme très intelligent, celui de personnes habitant un très vieil immeuble construit dans les années 30 et qui avait symbolisé pendant une période la réussite quand on y habitait. Contrairement à ce que le titre peut faire penser, ce n'est pas du théatre qui se déroule dans l'immeuble, simplement des individus de conditions très différentes, de génération également différente qui ont pour point commun d'avoir le même lieu de résidence. Certains se connaissent, d'autres pas du tout, on suit leur évolution dans la société égyptienne.

Il ne faut jamais faire d'un roman une étude sociologique, mais on peut tout de même appréhender la réalité d'une société au travers de ce genre d'ouvrage. Ce qui m'a beaucoup plu, c'est la façon dont l'auteur passe au peigne fin les différentes illusions qui ont secoué la société égyptienne à travers le portrait d'âge de personnages d'âge très différent. L'illusion d'abord de la croissance économique et de la copie débridée de la société occidentale, jusque dans les modes de vie (celui d'un vieux séducteur resté célibataire), l'avènement d'une société autoritaire qui semble en manque de modèle et qui sombre dans la corruption la plus sordide (plusieurs portraits assez réussis), la tentation du radicalisme musulman dans lequel sombre un jeune homme qui avait toutes les prédispositions pour s'insérer dans la société mais dont justement le refus de la corruption lui ferme les portes. La description de sa prise en main idéologique par un groupe radical, même si elle est bien évidemment romancée, est, m'a-t-il semblé, d'une très grande justesse.

Un très beau roman, facile d'accès, peut être pas de la très grande littérature, mais on passe un vraiment très bon moment à découvrir cet univers, qui pour ma part, m'est totalement inconnu par ailleurs.
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Message par visiteur »

Le monde selon Garp de John Irving

Classique de la littérature américaine de la seconde moitié du 20ème, l'auteur et ce roman ne m'ont pas interessé outre mesure...
C'est pourtant un portrait assez ironique de l'Amérique de l'après guerre, où bon nombre de ses poncifs sont passés en revue de façon certes réjouissante, mais pour autant y trouver un souffle, un style ou tout simplement des personnages qui vous emportent...
Il y'a pas mal d'imagination que ce soit la description de conception du protagoniste principal, la scène d'adultère de Madame qui tourne à l'apocalypse faisant vraiment croire qu'Irving en fait un mal absolu alors que son personnage masculin lui peut se permettre des incartades tout à fait légères. Peut être un peu trop de pathos avec la mort du gamin et celle de Madame Mère, devenue égérie du féminisme malgré elle.

En fait plutôt déçu au point que je ne suis pas encore sûr de donner une seconde chance à l'auteur... Pas trop compris le succès qu'avait suscité ce bouquin...
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Message par visiteur »

A rebours de JK Huysmans

Ce n'est absolument pas le dernier opus du sieur Houellebecq qui m'a conduit à cet ouvrage... J'essaye de temps à autre de continuer à explorer les classiques français jamais abordés par des études dans le domaine qui ont laissé des gouffres d'inculture que j'essaye en vain de combler...
Et dont parfois je me demande quelle est l'utilité de cette vaine quête, allant presque, horreur absolue, à rejoindre un ancien chef de l'Etat qui trouvait qu'étudier la princesse de Clèves de nos jours était sans intérêt... Arghhh, qu'il soit brûlé sur la place publique ce mécréant, c'est presque criminel ce genre d'affirmation, comme par exemple d'affirmer que Proust serait infiniment chiant à lire.... :mrgreen:

N'ayant pas lu la princesse de Clèves je ne rejoindrais pas le choeur des indignés et revenons au sujet initial... j'avoue avoir redouté d'ouvrir l'ouvrage, je restais sur une immense déception en la personne de Jules Barbey d'Aurevilly et redoutais de tomber sur ce genre d'oeuvre, totalement recouverte d'une épaisse poussière dont on se demande bien pourquoi il a fallu qu'on aille l'épousseter...

D'autant plus quand la quatrième de couverture vous parle d'ouvrages postérieurs, affirmant que l'oeuvre fait figure de précurseur du Voyage ou de la Nausée... C'est là qu'on reste sceptique, parce que si le Voyage est un incontournable de la littérature du 20ème, la Nausée du petit Jean Paul l'aura marqué à l'égal de ses ouvrages de philosophie quand on lit Schopenhauer, Nietzche, Heiddegger ou autre Kant, en se bidonnant de sa prétention...

Des Esseintes précurseur de Bardamu? Ce n'est pas forcément faux. Reste que le bouquin n'a pas la puissance célinienne. Mais il s'inscrit dans le nihilisme de la société industrielle de la fin du 19ème siècle avant le grand chambardement de la première guerre mondiale. Soit donc un individu qui décide de se retrancher du monde extérieur, laissant le contact avec l'être humain, limité à ses seuls domestiques, s'entourant de bouquins pour ne pas trop s'ennuyer, et observons le évoluer ainsi pendant une grosse centaine de pages....


L'exercice de style n'est pas inintéressant même s'il n'est pas dépourvu de longueurs, mais l'auteur fait preuve de création et en construisant son personnage, il parle plutôt pas mal des sociétés "modernes" au point que l'oeuvre, je trouve, peut avoir encore de l'écho vis à vis de notre monde. C'est d'un style assez classique, très soigné, genre celui qui joue à l'écrivain et qui visiblement n'a pas trop de mal pour montrer qu'il en est un...On est très loin des colosses du XiXème, mais l'oeuvre mérite d'être lue...
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Re: [topic unique] LIVRE

Message par visiteur »

Benjam1 a écrit :Je vais commencer le bouquin "CANADA" de Richard Ford. il a l'air saisissant et le derrière de couv m'a plu:

"Nous sommes à Great Falls, Montana, en 1960. Dell Parsons a 15 ans lorsque ses parents commettent un hold-up, avec le fol espoir de rembourser ainsi un créancier menaçant. Mais le braquage échoue, les parents sont arrêtés, et Dell a désormais le choix entre la fuite ou le placement dans un orphelinat. Il choisit de fuir, passe la frontière du Canada et se retrouve dans le Saskatchewan. Il est alors recueilli par un homme, Remlinger, qui fait de lui son apprenti et son factotum. Remlinger est un « libertarien », adepte de la liberté individuelle intégrale, qui vit selon sa propre loi en organisant des chasses. Canada est le récit de ces années d’apprentissage au sein d’une nature magnifique, parmi des hommes pour qui seule compte la force brutale, comme le montre l’épisode final, d’une incroyable violence. Des années plus tard, Dell, qui est devenu professeur à l’Université, se souvient de ces années qui l’ont marqué à jamais.
Qualifié de « page-turner » par le NY Times, ce roman d’une puissance et d’une beauté exceptionnelles rappellera aux lecteurs de Richard Ford le premier de ses livres publié à l’Olivier en 1991, Une saison ardente. Il marque le retour sur la scène littéraire d’un des plus grands écrivains américains contemporains."
Roman qui a été récompensé par le Fémina Etranger en 2013 et qui mérite le détour.

Pas grand chose à rajouter à la trame de l'intrigue résumée un peu plus haut. Si ce n'est 2 ou 3 choses. Le roman est en fait organisé en deux parties à peu près identique. La première est la description de la famille Parsons, du père, de la mère et des deux gosses, de leur vie dans un trou du Montana, ce qu'ils y font et le pourquoi du hold up ridicule que les parents ont fomenté. C'est très bon, c'est décrit de façon très subtile, avec une ironie presque tendre, le portrait de pauvres gens pas très futés dont la vie va basculer parce qu'ils ne savent pas qu'ils ne sont pas très futés, enfin surtout le père...

Mais le roman de Ford va bien au delà de la simple narration d'une histoire exemplaire. Il est très ambitieux, c'est une étude sur le bien et le mal et ses étroites imbrications dans la vie des êtres, le refus absolu du manichéisme, la justice des hommes qui sait combattre le mal ou qui est impuissante et où dans ce cas chaque personnage est ramené à sa conscience.

Si Dall Parsons est le fils d'un pauvre type, les affres dans lequel le hold up pathétique fomenté par son père va le plonger, vont lui faire rencontrer derrière la frontière canadienne un être supérieur qui lui aussi traîne quelques casseroles derrière lui... Comment pourrait-il en être autrement que de rencontrer dans ce coin perdu du Canada un ancien d'Harvard qui se complaît dans l'exploitation du bar local....

Je retire de la lecture de ce bouquin un sentiment ambivalent. Ambivalent parce que c'est un très grand livre. C'est incontestable, le style est magnifique, les personnages et les caractères magnifiquement fouillés, l'histoire est parfaitement menée et la façon dont l'auteur arrive à parler de la société américaine et également canadienne est vraiment intéressante. Ambivalente aussi parce qu'en dépit de ses qualités, on n'est pas non plus soufflé par sa force. La portée philosophique que l'auteur veut donner à son histoire est peut être un peu trop narrative et fait perdre de sa puissance dans son traitement romanesque. En tout cas c'est un peu mon ressenti.

Il n'empêche que c'est un bouquin à lire pour ceux qui comme moi n'avait jamais rien lu de Richard Ford avant celui-ci et qui donne envie de poursuivre l'exploration de son oeuvre.

Je reproduis le dernier chapitre de la première partie qui donne une très bonne idée du style et aussi la façon dont Ford mène son oeuvre ce qui permettra de se faire une bonne idée de ce qu'on va trouver dans ce bouquin

"Personne n'est venu voir ce que nous devenions ni nous chercher pour nous mettre en lieu sûr: voila bien la mesure de notre insignifiance, et de la ville qu'était Great Falls. Pas de Protection des mineurs, pas de police, pas de tuteurs pour nous prendre en charge. Personne n'est venu fouiller la maison pendant que je m'y trouvais. Et quand ça se passe de cette façon, que personne ne vous remarque, les gens et les choses s'oublient vite, on s'en détache. Et c'est ce qui est arrivé. Mon père se trompait souvent, mais pas sur Great Falls. Les gens ne voulaient rien savoir de nous. Ils étaient tous disposés à nous laisser disparaître si on en avait envie.

Berner et moi, on est rentrés à la maison par un autre chemin. On n'était plus les mêmes à présent; plus libres, peut être, chacun à sa manière. On a rejoint Central Avenue en passant devant la poste, et puis on a pris vers la rivière, en longeant les bars et les boutiques de prêt sur gages, le bowling, le Rexall et la boutique de loisirs où j'avais acheté mon jeu d'échecs et mes magazines sur les abeilles. La rue grouillait de monde, la circulation bruissait. Mais, une fois de plus, je n'avais pas l'impression qu'on nous regardait. L'école n'avait pas repris. Notre présence n'avait rien d'incongru. Un garçon et sa soeur, qui traversent le pont pour rentrer chez eux, dans la brise ensoleillée, la rivière et son odeur douceâtre et croupie, en une fin de matinée d'août, personne n'irait penser: Voilà les jeunes dont les parents sont en prison. Il faut veiller sur eux et les protéger.

On s'est arrêtés au milieu du pont, appuyés à la rambarde. On a regardé les pélicans glisser et prendre leur essor au-dessus du courant. Des cygnes voguaient le long de la rive la plus proche, là où une nappe d'écume jaune dansait à la surface. On a regardé deux personnes dans un canoë, qui descendaient le courant vers les hauts-fourneaux et le pont de Fifteenth Street. Jusque-là, Berner s'était tue derrière ses lunettes noires. On n'avait pas parlé de notre père ni de notre mère. Au bord du pont, au-dessus du Missouri, ses cheveux se soulevaient de temps à autre dans le vent sec , ses mains s'agrippaient au fer du garde-corps, comme si le pont allait se changer en train et démarrer. Elle me paraissait jeune, trop jeune pour fuguer et se retrouver seule. Nous avions quinze ans. Mais là n'était pas la question. Devant la réalité des faits qu'il nous fallait affronter, l'âge n'entrait pas en ligne de compte.

C'est bizarre, tout de même, ce qui fait réfléchir à la vérité. Cette question intervient si rarement dans les événements d'une vie. J'ai arrêté de réfléchir à la vérité pendant un moment, du coup. Ses subtilités me semblaient impossibles à démêler parmi les faits. S'il y'avait un dessein caché, le vécu ne l'éclairait presque jamais. Le jeu d'échecs était bien plus facile à comprendre-les pièces demeuraient fidèles à leur nature, puisqu'une force supérieure dictait tous leurs mouvements. Je me suis demandé, en cet instant-là seulement, si nous, je veux dire Berner et moi, étions comme elles des figurines figées, manipulées par une force supérieure. J'ai décidé que non. Que cela nous plaise ou non, que nous le sachions ou non, nous étions notre propre maître et ne devions rien à un grand dessein. Si notre nature était un destin, il faudrait qu'elle se révèle plus tard.

Avec les années, j'ai tendance à croire que toute situation humaine se retourne comme un gant. Tout ce que tel ou tel m'assure être vrai peut ne pas l'être. Tout article de foi est susceptible de voler en éclats dans ce monde. Il est rare que les choses demeurent très longtemps en l'état. Le comprendre ne m'a pas rendu cynique pour autant. Est cynique celui qui ne croit pas le bien possible. Alors que moi j'ai la certitude qu'il l'est. Simplement, je ne tiens rien pour acquis et j'essaie d'être toujours paré au changement qui s'annonce.

Et à ce moment-là, j’étais en bonne voie d’apprendre à subordonner les choses les unes aux autres. C’est l’un des enseignements des échecs, et il est presque immédiat. Les événements qui ont radicalement changé la vie de nos parents sont devenus secondaires par rapport à ceux qui m’ont porté vers l’avenir, à compter de ce jour d’août. Parvenir à ce constat rien moins qu’évident, c’est à quoi a tendu ce récit jusqu’ici- et à voir plus clair sur nos parents également. Je crois que c’est pourquoi je me suis senti libéré quand Berner et moi, on était sur le pont, ce jour-là, et aussi pourquoi mon cœur cognait d’allégresse. C’était peut-être dû à cette vérité insaisissable, et ce qui a fait que j’ai laissé tombé la chevalière de mon père dans la rivière, sans penser plus long par la suite.

Pour bien faire, il faut nous laisser sur le pont, ce matin-là. Ça vaudra mieux que de m’imaginer chez moi, un peu plus tard, sur le perron, en train de regarder Berner s’en aller sous les ombrages de notre rue et suivre le cours inconnu de sa vie. Se focaliser sur la silhouette de Berner qui s’en va ferait de toute cette histoire un récit de la perte et du deuil, et ce n’est pas l’idée que j’en ai, aujourd’hui encore. Je crois au contraire qu’elle raconte une progression, un cheminement vers l’avenir, notions qui ne sont pas toujours faciles à appréhender quand on a le nez dessus."
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Re: [topic unique] LIVRE

Message par keru »

Le cinquième Beatles de Vincent Duluc.
Pas un livre sur la musique et le groupe de Liverpool.Seulement 15 pages sur le football.

J'ai dépensé tout mon argent dans les voitures, l'alcool et les femmes. Tout le reste je l'ai gaspillé.

On dit que j'ai couché avec sept Miss Monde. C'est faux, seulement quatre. Pour les trois autres, je ne suis pas allé au rendez vous.

Si on m'avait donné le choix entre dribbler six joueurs et marquer un but de trente mètres contre Liverpool, ou passer une nuit avec Miss Monde, j'aurais eu du mal à choisir. Par bonheur , j'ai eu les deux.

Simply the BEST.(22/05/1946-----25/11/2005)
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Re: [topic unique] LIVRE

Message par visiteur »

Le Hussard sur le Toit de Jean Giono

Il est difficile de ne pas être enthousiaste quand on a finit un tel livre. Il n’y a pourtant rien d’extraordinaire, mais juste le plaisir de se laisser glisser par l’imagination d’un très grand romancier.
Si l’on reprend le synopsis du Hussard, on n’y trouve que des ingrédients classiques de la littérature : d’abord celui du voyage, celui qui conduit le jeune piémontais Angelo Pardi en Provence pour rejoindre un compagnon de lutte. Voyage qui devait s’achever à Manosque mais qui ne sera que le début de l’aventure car l’obstacle, le choléra qui frappe une grande partie de la France à l’Est du Rhône, vient troubler les projets du jeune homme… On le suivra donc dans toute la partie sud des Alpes dans sa quête où il rencontrera l’amour, évidemment contrarié, mais aussi les hommes qui le pourchassent et ceux qui lui viennent en aide.

Si l’histoire n’a rien d’original, en suivre le cours fut un plaisir inouï. Le plaisir d’abord de l’imaginaire de l’auteur, où par sa peinture de la Provence, des hommes, des situations, de ses réflexions qui ne laissent guère de répit. Le récit est dense, riche, sans véritable temps mort. Le plaisir du style ensuite, là aussi d’un très grand classicisme, mais pas pompeux, fluide, un rythme épousant celui d’une rivière en plaine, serein, calme, paisible.

Certains critiques considèrent le Hussard comme le plus stendhalien des romans de Giono, c’est peut être pour cela qu’à ce jour c’est celui que je préfère, Stendhal étant l’écrivain que j'admire le plus parmi tous. On y retrouve les mêmes ingrédients, au centre duquel la simplicité de l’œuvre, ce sentiment totalement ridicule qu’on aurait pu soi même l’écrire tellement ce qu’il décrit semble proche de son quotidien et des ses propres observations, mais tellement éloigné à la fois par la force impressionnante du romanesque.

L’une des scènes les plus connues du livre est celle où Angelo se réfugie sur les toits de Manosque en compagnie d’un chat pour observer la ville d’en haut.

Quelques passages de ce temps fort du livre pour donner une idée du ton, du style et l’envie de découvrir l’œuvre

"Il s’était levé un vent chaud très souple qui attisait les étoiles et faisait balancer et bruire le feuillage des arbres. Un tintement aussi qu’il avait installé en plein ciel fit lever les yeux à Angelo qui distingua dans la nuit, pas très loin de lui, la cage de fer d’un clocher, puis l’enchevêtrement anguleux des toits de tuile dont certains revers avaient tant de poli que le simple clignotement des toiles le faisait luire.

Angelo respira avec plaisir ce vent qui sentait les tuiles chaudes et les nids d’hirondelles. Il éteignit la bougie et il s’assit au rebord de la terrasse. La nuit était si chargée d’étoiles, elles étaient si ardemment embrasées qu’il pouvait voir distinctement les toitures agencées les unes aux autres comme les plaques d’une armure. La lumière était d’acier noir mais, de temps à autre, un étincellement s’allumait sur la crête d’un faitage, sur la bordure vernie d’un pigeonnier, sur une girouette, sur une cage de fer. De courtes vagues immobiles d’une extraordinaire raideur couvraient d’un ressac anguleux et glacé tout l’emplacement de la ville. Des frontons pâles couleur de perle sur la surface desquels venait mourir une très légère lumière semblable à celle du phosphore, s’enchevêtraient avec des triangles d’ombres compactes, dressées comme des pyramides ou couchés horizontalement comme des champs ; des glacis sur lesquels dansait une lueur verdâtre ouvraient de tous les côtés des rangées de tuiles en branche d’éventail ; des rotondes filigranées d’argent se gonflaient de ténèbres sur l’émergence de quelque grande église ; des tours et l’enclenchement noir et gris de redans et de paliers superposés montaient, hérissés de barbelures d’étoiles. De loin en loin, les réverbères des places et des boulevards soufflaient des vapeurs de rouille et d’ocre autour desquelles festonnaient des cadres et des couronnes de génoises ; et la déchirure d’encre des rues découpait les quartiers.

Le vent qui n’avait pas d’haleine mais tombait en bloc ou roulait lentement en boule de coton faisait clapoter toute l’étendue des toitures, soufflait des grondements endormis dans le vide des cloches, frôlait les caisses voilées des greniers et des combles de couvent. Les frondaisons des ormeaux et des sycomores gémissaient comme des mâts en travail. Dans les lointaines collines on entendait bruire le volettement et les coups d’ailes des grands bois. Le balancement des réverbères suspendus jetait des éclairs rouges et cet air lourd qui sautait comme un chat à travers l’exhalaison lourde des tuiles pétrissait les couleurs sous la nuit en une sorte de goudron mordoré.

(…)

Angelo sauta le rebord de la galerie et s’avança sur les toits. Il était difficile et dangereux de marcher là-dessus avec des bottes, mais, en embrassant une cheminée, Angelo put se pencher sur le vide.

Il ne vit d’abord que des gens en tas. Ils semblaient piller quelque chose à la façon des poules sur du grain. Ils piétinaient et sautaient quand le cri jailli encore plus aigu et plus blond de dessous leurs pieds. C’était un homme qu’on tuait en lui écrasant la tête à coups de talon. Il y’avait beaucoup de femmes parmi les gens qui frappaient. Elles rugissaient une sorte de grondement sourd qui venait à la gorge et avait beaucoup de rapport à la volupté. Elles ne se souciaient ni de leurs jupons qui volaient ni des cheveux qui leur coulaient sur la figure.

Enfin la chose sembla finie et on s’écarta de la victime. Elle ne bougeait plus, était étendue, les bras en croix, mais, par l’angle que ses cuisses et ses membres faisaient avec le corps, on pouvait voir qu’elle avait les membres rompus. Une jeune femme, assez bien vêtue, et même qui semblait sortir de quelque messe, car elle tenait un livre à la main, mais dépeignée, revint au cadavre et, d’un coup de pied, planta son talon pointu dans la tête du malheureux. Le talon resta coincé dans des os, elle perdit l’équilibre et tomba en appelant au secours. On la releva. Elle pleurait. On insulta le cadavre avec beaucoup de ridicule.

Il y’avait là une vingtaine d’hommes et de femmes qui se retiraient vers la rue quand le groupe qu’ils faisaient s’égailla soudain sous une troupe d’oiseaux sous un coup de pierre. Un homme dont on s’était écarté resta seul. Il eut d’abord l’air hébété, puis il serra son ventre dans ses deux mains, puis il tomba, il se mit à s’arquer contre la terre et à la labourer de sa tête et de ses pieds. Les autres couraient mais, avant de s’engouffrer dans la rue, une femme s’arrêta, s’appuya au mur, se mit à vomir avec une extraordinaire abondance ; enfin elle s’effondra en raclant les pierres avec son visage.

« Crève », dit Angelo les dents serrées. Il tremblait de la tête aux pieds, ses jambes se dérobaient sous lui, mais il ne perdait pas de vue cet homme et cette femme qui, à deux pas du cadavre mutilé, s’agitaient encore par soubresauts. Il ne voulait rien perdre de leur agonie abandonnée qui lui donnait un amer plaisir. »
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